Une chaîne de solidarité pour offrir une chance aux enfants ukrainiens atteints de cancer

Cette année, pour sa 6ème édition de Day4life, Zoé4life innove et pousse son ambition encore un peu plus loin !

C’est ainsi que nous avons décidé d’organiser notre événement sur 2 jours.

Assise dans cet avion qui décolle de la Pologne, je sens les émotions monter en moi. La fatigue se fait sentir dans tout mon corps, ma gorge se noue, les larmes sont au bord de mes yeux. Je ferme les yeux et me concentre pour contrôler mes émotions. Dans quelques minutes, je serai à nouveau debout à coordonner avec le reste de l’équipe tout ce qu’il nous reste à faire avec ces familles que nous ramenons en Suisse.

Depuis le début de la guerre en Ukraine, Zoé4life a répondu à l’appel à l’aide de nos confrères ukrainiens et polonais. D’autres organisations comme la nôtre qui demandent au reste du monde d’accueillir et de prendre en charge les enfants ukrainiens atteints de cancer.

En Ukraine, ces enfants n’ont aucune chance face au cancer s’ils n’ont pas de médicaments, ni d’hôpitaux où se faire soigner. Leurs traitements se sont arrêtés depuis que la guerre a commencé.

Je réalise que les trois semaines que nous venons de vivre, à travailler dès le lever du jour, jusqu’au coucher tard le soir, à se relever la nuit lors des insomnies devenues familières pour avancer et à manger devant nos ordinateurs ou dans nos voitures, ressemblent probablement à ce que nos amis ont vécu pour nous en 2013 quand nous partions pour la Floride avec Zoé.

Nicole, qui est le contact au niveau Suisse des organisations de parents, a coordonné, depuis début mars, avec les hôpitaux en Suisse afin de voir combien d’enfants nous pouvions ramener.

Une coordination compliquée afin d’être sûres de combien d’enfants chaque centre Suisse pourra accueillir. Le temps presse, il faut agir vite. Le cancer de l’enfant n’attend pas, la guerre non plus. Nous collaborons main dans la main avec Kinderkrebs Schweiz, une organisation suisse comme Zoé4life et la Fondation Ronald Mc Donald qui va s’occuper du logement des patients, et leurs familles. Zoé4life s’occupe du transport jusqu’au lieu de logement ou l’hôpital.

Gaëlle et moi nous nous concentrons principalement sur la logistique. Nous appelons des compagnies de cars, puis des compagnies d’aviations de lignes et privées. Nicole contacte toutes les lignes aériennes, qui veulent toutes aider, mais avec parfois des réponses hors de prix. Toutes les solutions sont envisagées. Le temps passe. Il n’est plus envisageable de voyager en car. Les enfants sont sans traitements depuis de nombreuses semaines pour certains. Le voyage doit être le plus confortable possible pour eux. Gaëlle contacte les centres d’ambulances pour transporter rapidement les patients dans les différents centres hospitaliers.

Nous sommes prêts à payer le prix qu’il faudra pour aller chercher ces enfants. Il est hors de question de les laisser là-bas sans rien faire. Après des dizaines et des dizaines de téléphones et des mails à n’en plus finir, des réponses négatives, des possibilités mais pas suffisamment flexibles… nous avons enfin un plan.

Grâce à son patron chez Skyguide, Nicole est en contact avec le grand chef de Easyjet. Et l’impensable se produit : EasyJet nous informe qu’ils nous mettent à disposition un avion ! Un très bon ami commandant souhaite faire partie de l’aventure et un équipage est ainsi composé.

Puis la compagnie de cars, Thomas Marti Voyages, me confirme que rien ne nous sera demandé pour la location des cars, que les chauffeurs viendront bénévolement et que le carburant est pris en charge par la banque Raiffeisen de Assens.

Et ce sera le tour des ambulanciers du SPS de la ville de Neuchâtel qui se mobilisent en offrant leurs services. Les ambulanciers viendront sur leur jour de congé, les ambulances sont mises gratuitement à disposition et le carburant offert. Pareil pour les Ambulances Roland, le CSU-Riviera et les ambulances de l’Aéroport de Genève.

Et la suite s’enchaîne pour former les maillons d’une longue chaîne, une très longue chaîne de solidarité.

L’aéroport de Genève renonce aux taxes usuelles et nous mettra le terminal 2 et du personnel à disposition. Gate Gourmet nous offre le repas dans l’avion et l’équipe de Skyguide ne facturera rien non plus et nous tracera une belle route dans le ciel pour que notre avion arrive le plus rapidement possible à destination. Chacun souhaite aider et trouve une façon de le faire.

Nous sommes prêts !

Entre 50 et 60 enfants ukrainiens atteints de cancer arrivent chaque jour en Pologne. Quelque part entre Cracovie et Varsovie, l’équipe de l’hôpital américain St. Jude Global à Memphis a mis en place une structure dans un hôtel transformé en clinique pour accueillir ces enfants et leurs familles. Sur place les familles peuvent prendre des vêtements, jeux et tout ce dont elles ont besoin. Mais le voyage est encore long et elles prendront le minimum.

Les médecins évaluent chaque enfant afin de voir s’il est en état de voyager ou s’il doit être rapidement hospitalisé dans un centre en Pologne. Le dossier médical de l’enfant, écrit en cyrillique, est traduit en anglais. Cela sera d’une grande aide pour les médecins qui prendront le relai.

Puis l’équipe effectue un appel aux responsables de chaque pays (Nicole pour la Suisse) en demandant combien d’enfants leur pays peut accueillir et pour quand.

Nous devons être disponibles pour partir dans les 48h. Car le flux d’enfants est important et ils ne passent que 48h dans cette clinique avant de reprendre le voyage. Le temps est compté, le temps est précieux, et dans cette lutte contre le cancer, le temps est notre ennemi car actuellement ces enfants n’ont plus de traitement pour contrôler, freiner ou arrêter le cancer.

Nous avons une pédiatre qui partira avec nous, une psychologue et elles parlent les deux ukrainiens, ainsi que 2 traductrices. Ensuite, nous avons 2 infirmiers, puis Nicole, Gaëlle, Lana et moi pour gérer environ 20 enfants et leurs familles.

Nous sommes prêts et le départ se fera dans le courant de la semaine prochaine, probablement mercredi.

La tension monte car nous sommes en attente, il y a des changements sans arrêt, il faut être flexible, il faut s’avoir s’adapter et innover. Et nous sommes fatiguées. Les insomnies nous permettent de finaliser tous les détails.

Chaque enfant recevra 1 sac bleu avec des petits cadeaux et chaque maman recevra 1 sac rose contenant un peu d’argent de poche pour les premiers jours et des petits cadeaux également.

Chaque maman aura également une petite trousse de toilette avec quelques articles de cosmétique qui seront distribuées avec la collation, organisés par des bénévoles.

La déception est vive lorsque notre contact en Pologne nous informe que mercredi ce sera trop tard pour les enfants qui arrivent avec le convoi du week-end, et que c’est trop tôt pour ceux qui arrivent mercredi. Nous devons informer toutes les personnes impliquées. Tous ces bénévoles, la compagnie de cars, les ambulanciers et EasyJet.

Ce sera peut-être jeudi ou peut-être vendredi. Tous ont compris l’importance d’être flexible, car il n’y a pas d’autres choix. Et pourtant je vous laisser imaginer combien cela a dû être compliqué pour des professionnels d’organiser leurs plannings, respecter les horaires de repos de leur personnel pour nous aider. Nous leur sommes tellement reconnaissants.

Je n’entrerai pas dans les détails de coordination entre nous, les équipes médicales et notre association qui ont nécessités de nombreux échanges. Eux voient la partie médicale de l’enfant, nous nous pensons à la famille entière et à son confort. Nous sommes complémentaires et nous devons apprendre à collaborer, à se faire confiance et à respecter le travail de l’autre. Cela est plus facile pour nous que pour eux croyez nous !

Mercredi nous apprenons que le départ sera pour vendredi. L’appréhension monte. Serons-nous à la hauteur ? Dans quel état émotionnel seront ses familles ? Tout le monde imagine que ces familles seront heureuses de venir avec nous, mais finalement nous n’en savons rien. Elles sont obligées de fuir leur pays et partent pour l’inconnu avec un enfant gravement malade en laissant derrière elles leurs familles.

Jeudi soir une première liste de passagers nous est transmise. Les médecins travaillent maintenant pour répartir les patients. Les patients qui ont un besoin urgent de soins seront transférés au CHUV à Lausanne qui a la possibilité d’accueillir des patients le vendredi soir. Tous les hôpitaux n’ont pas l’effectif sur le week-end pour une prise en charge d’un patient le week-end qui en plus ne parle pas la langue. Il faut penser à tout ce qui encadre le patient.

Après avoir passé la journée à faire des appels, régler les derniers détails et finaliser le voyage, nous nous couchons à une heure très tardive….        Le lendemain matin, le réveil est matinal. Qu’importe, nous dormirons plus tard.

Nous rejoignons les bénévoles à l’aéroport et nous nous laissons conduire par le personnel de l’aéroport puis par le personnel de cabine d’EasyJet qui est aux petits soins pour nous.

Grâce à Skyguide qui nous dégage le ciel, nous arriverons vite à Cracovie.
Nous laissons toute l’équipe sur place, pendant que Nicole, Gaëlle, Lana et moi sautons dans un taxi en direction de la clinique. Plus de 1h45 de route avec une envie de faire pipi à un point que vous ne pouvez imaginer. Mais nous n’avons pas le temps. Ce voyage en taxi est l’occasion de coordonner les détails qui restent à faire pour le retour.

Arrivées à la clinique qui est protégée par un grand portail pour empêcher les journalistes curieux de venir filmer, nous sommes chaleureusement accueillies par l’équipe sur place. Un petit détour aux WC, puis nous pouvons effectuer le tour de la clinique et hop nous voilà, 20 minutes plus tard, en train de dire au revoir à cette incroyable équipe. Ils effectuent un travail incroyable, nous les remercions chaleureusement. Eux aussi dormiront plus tard, nous le savons. Car demain, le prochain convoi arrive chez eux depuis l’Ukraine.

Le bus est là, les familles sont installées et nous attendent. Un petit discours qu’un traducteur traduit pour nous et nous repartons en direction de l’aéroport. Nous ne parlons pas leur langue, eux ne parlent pas la nôtre. Nous improvisons et trouvons comment nous faire comprendre et les applications de traduction nous aident. Six familles qui ont été testées positives au COVID, se trouvent au fond du bus. Pour protéger les autres elles ont été installées sur la deuxième partie du bus. Il y a un grand plastique qui est fixé avec des scotchs entre elles et le reste des passagers. C’est presque choquant, mais il faut penser aux plus vulnérables. Nous portons tous nos masques et nous allons les voir régulièrement pour nous assurer que tout se passe bien pour eux.

Ces familles se trouvaient avant-hier en Ukraine et sont arrivées hier en Pologne. Ce matin, elles apprennent qu’elles partent pour la Suisse…un pays dont elles ne connaissent peut-être rien du tout.

Nous, nous avons reçu la liste définitive de quel patient est attendu dans quel centre le matin même. Il y a eu encore un changement tard le soir car un enfant n’était pas assez bien pour voyager. Nous repérons les familles dont les enfants doivent se rendrent rapidement à l’hôpital à notre arrivée.

La majorité des familles ce sont des mamans seules avec un enfant. Certaines ont la grand-maman qui les accompagnent. Une maman est seule avec deux enfants, une famille est composée d’une jeune maman avec 4 enfants et la grand-maman qui nous parle sans cesse. Elle semble inquiète et nous n’arrivons pas à la comprendre. C’est très frustrant de ne pas pouvoir communiquer mieux avec ces familles, avec ces enfants. De ne pas pouvoir les rassurer plus et entrer dans des conversations plus profondes.

Le trajet en car sera plus long qu’à l’aller. Les visages sont crispés, laissant paraître l’extrême fatigue et la souffrance de ce que ces femmes ont traversé… mais aussi la peur de l’inconnu. A l’arrivée à l’aéroport, il faut enregistrer les bagages et passer la sécurité. Cela prendra beaucoup de temps. Nous sommes en retard mais l’avion attend.

Tout se précipite à l’aéroport. Nous montons à bord d’un bus qui nous amène à l’avion et même si avec nos bénévoles il nous semble avoir bien géré la situation dans le stress, nous avons malgré tout une peur d’avoir oublié une personne. Mais non. Ouf, tout le monde est là. On nous voit de loin avec nos t-shirts. Les familles peuvent ainsi facilement nous repérer. Dans le bus qui nous amène à l’avion, les visages se détendent et des sourires s’affichent. Nous entendons des OH et des HA, oui c’est l’avion orange et blanc ! Pour beaucoup ce sera le premier voyage en avion. Un voyage vers l’inconnu, et avec encore un long chemin pour arriver vers la guérison, mais dans un pays libre, loin des bombes.

Au moment du décollage, un petit relâchement de cette journée tendue qui se fait ressentir parce que les enfants crient comme s’ils étaient dans un carrousel. Pour un instant, il nous semble qu’ils ont oublié la guerre et la maladie…

S’il y a des rires d’enfants lorsque nous traversons quelques turbulences, il y aussi des larmes sur le visage de certaines mamans. Nous apprenons que celle-ci a laissé derrière elle, en Pologne son fils qui est pris en charge par la grand-maman. Elle ne savait pas qu’elle pouvait le prendre avec.

Puis, nous apprendrons qu’une autre a laissé deux de ses enfants en Ukraine, dans l’est, où la guerre sévit depuis longtemps. Le village est encerclé et a été bombardé. Elle les sait vivants mais cachés au fond d’une cave. Et celle-ci qui a laissé sa fille handicapée à son mari car elle ne savait pas comment elle allait pouvoir gérer seule, ici avec deux enfants.

Et encore des histoires tragiques qui bouleversent nos cœurs de mamans. Nous avons vécu le cancer de nos enfants avec Nicole, Gaëlle et moi. Mais nous étions dans un pays en sécurité, entourées par nos proches et nos autres enfants étaient en sécurité, chez nous et pas à des milliers de kilomètres.

La seule responsable de cette tragédie est la guerre. Je suis révoltée, mais là encore, pas le temps de s’attarder sur nos émotions.

L’avion atterrit et l’émotion me submerge lorsque je réalise qu’un comité d’accueil nous attend au pied de l’avion. Le personnel de l’aéroport prend en charge les patients les plus fragiles et tout le monde se rend dans une salle pour le triage. Le directeur de l’aéroport et de EasyJet sont là pour nous féliciter et c’est l’occasion de leur dire merci de vive voix.

Les patients sont revus par un médecin qui prendra le temps d’évaluer chaque enfant. Il a étudié chacun des 16 dossiers durant la journée. Ainsi, il peut décider si, en plus des trois patients initialement prévus, d’autres doivent se rendre à l’hôpital le soir-même.

Ce sera le cas pour un autre. Les ambulances partent avec quelques patients et les autres se rendront en car dans un hôtel à St-Sulpice pour la nuit.

Le lendemain, deux pompiers du service Incendie Secours de Genève sont venus pour transporter deux familles à Bellinzona et deux pompiers du SDIS de l’Etraz-Région amèneront une famille à Bâle.

Le dimanche ce sera une journée hors du temps au bord du lac. Des tours en carrousels pour les petits et des glaces pour tout le monde afficheront des sourires sur presque tous les visages. Une petite virée au musée olympique organisée par mes parents avec la voisine de Nicole qui se libère rapidement pour pouvoir aider, permettra à ces familles d’avoir une journée presque normale. Elles nous diront par la suite que c’était un moment où elles ont oublié les bombes, la guerre et même le cancer.  

Lundi c’était le départ des dernières familles organisé par les cars, mais également par les pompiers du SPS de la ville de Neuchâtel et cette fois je ne peux plus contrôler mes larmes. Tout le monde se prend dans les bras et nous leur souhaitons le meilleur pour la suite.

Nous garderons contact, nous en sommes certaines.

Depuis lundi, après avoir rempli les formalités administratives pour chaque passager que nous avons ramené, les familles ont repris la route de l’hôpital avec leurs enfants. Certains ont déjà subi des interventions chirurgicales, d’autres des chimios et ces familles sont bien encadrées par les responsables des maisons de la Fondation Ronald Mc Donald pour 5 villes et de maisons de parents pour les autres destinations.

Pour certains, un semblant de vie normale est vite là. Nous recevons une photo du petit Oleg avec un large sourire sur son visage. Cet enfant est devenu invalide suite à une tumeur au cerveau et tout le long du voyage il était inconfortable. Aujourd’hui, il a une alimentation adaptée et sa grande sœur va prochainement aller à l’école. La famille va s’installer dans un appartement prochainement.

Pour d’autres, la route est encore longue et sera semée d’embûches. Ici elles peuvent offrir une chance à leur enfant, une chance qu’il ne leur était pas possible d’offrir à leur enfant en restant en Ukraine.

Cette aventure, cette solidarité a été si magique, mais si tragique en même temps. Je suis si fière que mon pays, la Suisse, ait accepté d’accueillir ces enfants et leurs familles. Je suis fière de voir qu’il y a eu tant de personnes impliquées dans la réalisation de ce projet et je suis fière de chaque personne qui a contribué rendre cela possible. Merci à tous, car ensemble nous avons fait la différence pour ces enfants et leurs familles.

Natalie Guignard-Nardin – mars 2022