Témoignage - Ricardo

« Lorsque je repense à cette période où j’étais malade, je me souviens surtout d’un sentiment : La solitude ».

Ricardo avait 7 ans lorsque les médecins lui ont diagnostiqué un cancer du rein. Un néphroblastome, également appelé une tumeur de Wilms. Il se souvient être tombé d’un tourniquet et à la suite de cette chute il a vu du sang dans ses urines. Déjà affecté par des douleurs abdominales depuis quelques temps et il a été rapidement pris en charge aux urgences. Le diagnostic est tombé, et une intervention chirurgicale a été réalisée pour l’ablation du rein malade.

« Mes parents sont arrivés du Portugal deux ans avant cet incident Ne maîtrisant presque pas le français, l’hôpital a dû faire appel à une traductrice. J’ai suivi des chimiothérapies et de la radiothérapie. Une fois les traitements terminés j’ai repris ma vie plus ou moins normalement.Dans ma culture on n’évoque pas ces moments. Une fois les traitements achevés on préfère met tout ça derrière soi et on passe à autre chose. Ma maman a eu tendance à me surprotéger car elle craignait que je me blesse, mais nous n’avons jamais vraiment reparlé du cancer ».

« Quand on a qu’un rein on n’a pas d’autre roue de secours »

« Je remarques que j’ai vraiment du mal à me souvenir de cette période. Adolescent j’ai occulté cette partie de ma vie. Je voulais vivre comme les autres. Pourtant les sports de combat ou à risque étaient déconseillés. Il est nécessaire d’adopter une hygiène de vie irréprochable, de surveiller son poids pour protéger le rein restant. Malgré cela, j’ai pratiqué beaucoup de musculation, des sports à risque et consommé beaucoup de protéines, ce qui n’est pas bénéfique pour le rein qui devait assumer le travail de deux ».

« J’ai carrément zappé que j’avais eu un cancer »

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20 ans pus tard, Ricardo est en couple et ils parlent bébé. Soucieux que son passé puisse avoir un impact sur la vie de ce futur enfant, il tente de se renseigner sur ses traitements, les risques éventuels de stérilité ou de transmission du cancer. Il tente de poser des questions à ses parents, mais il constate que cette période reste très douloureuse pour eux. Issus de l’immigration portugaise ses parents travaillaient tous les deux énormément cumulant deux emplois, ce qui rendait difficile la conciliation avec leurs deux enfants, dont l’un était gravement malade.

Souhaitant les préserver, Ricardo puise dans ses souvenirs enfouis et commence à ressentir des émotions, des sensations et des flashs lui sont réapparus.

« Ce sentiment de solitude est celui dont je me souviens le mieux. Mes parents devaient travailler me laissant souvent seul ».

Malgré cette situation complexe, les parents de Ricardo venaient chaque jour lui apporter à manger car il refusait la nourriture de l’hôpital. Son grand-frère passait également du temps avec lui en fonction des horaires d’école.

Pour accéder aux informations qu’il recherchait, Ricardo a fait une demande à l’hôpital pour consulter son dossier médial. Il y a découvert les notes des infirmières, indiquant qu’il ne dormait pas et pleurait beaucoup. Cependant, le reste était trop complexe à comprendre.

« Un jour, une amie travaillant aux HUG en pédiatrie m’a parlé de l’association Zoé4life. Je les ai donc contactés et me suis engagé comme bénévole. Pendant mes traitements, des associations ont aidé mes parents, mon frère et moi. Je souhaite maintenant aider à mon tour. Je me souviens que nous avions reçu un ordinateur portable d’une association avec une imprimante. Pour mon frère et moi ce furent nos premiers pas dans l‘informatique et aujourd’hui nous en avons fait notre métier à tous les deux.  

« J’ai saisi les opportunités offertes par l’association et j’ai rejoint le comité exécutif. Je m’intéresse particulièrement aux séquelles à long terme des traitements contre un cancer. C’est ça qui m’a relià à mon passé, à mon cancer.  A travers Zoé4life j’ai découvert l’existence d’un suivi à long terme avec des médecins spécialisés pour les personnes comme moi, ayant eu un cancer dans leur jeunesse.
Lors d’un de ces rendez-vous, j’ai pu poser mes questions, faire part de mes craintes quant à une éventuelle infertilité ou à la transmission du cancer à mon futur enfant. Heureusement, il s’avère que je ne suis pas concerné par la forme héréditaire du cancer du rein».

« J’ai retrouvé des photos et c’est comme si mon cerveau libérait enfin ces souvenirs enfouis quelque part dans ma mémoire"

Ricardo a également été surpris d’apprendre qu’il devait subir divers examens en raison des traitements, augmentant le risque de développer un deuxième cancer.

Des examens cardiaques et une coloscopie tous les 5 ans sont nécessaires, ainsi qu’un examen d’urine pour vérifier le bon fonctionnement du rein restant. Sa tension doit également être surveillée régulièrement Lors de ces examens, il a été constaté un excès de calcium produit par la glande thyroïdienne, ce qui est néfaste pour le rein. Il a donc subi une intervention pour la retirer.

Un jour le médecin qui suit Ricardo lui a proposé de participer à une émission que la RTS souhaitait réaliser sur le sujet. Il a accepté, espérant que son expérience puisse aider d’autres personnes. Cette expérience avec la télévision, le fait de devoir raconter et témoigner, a été comme une forme de thérapie. Cela lui a permis de mieux comprendre certains traumatismes et de progresser.

« Les souvenirs sont remontés à la surface. Les vomissements après les chimios, le dégout du lait qu’on voulait absolument me faire avaler après chaque anesthésie. Je revois les jeux dans le parc derrière l’hôpital, que j’observais depuis la fenêtre de ma chambre Les bons souvenirs sont là également car il y en a aussi ! Le goût de la cuisine de ma maman que mes parents m’apportaient me fait encore saliver. Le sticker rouge est également un flash qui m’est revenu. À la question que je posais sans cesse : quand est-ce que je vais pouvoir rentrer chez moi ? On me répondait : Il faut poser la question aux personnes qui ont le sticker rouge ! Il s’agissait des médecins ».

« J’avais accès à une salle où il y avait des cassettes vidéo avec des films et des dessins animés que nous pouvions visionner ». Il sourit en se remémorant l’infirmière qui le réprimande lorsqu’elle le surprend avec son frère en train de regarder le film mettre le nom si tu te souviens ? « Elle estimait que nous étions trop jeunes pour le film en question ».

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Aujourd’hui Ricardo est l’heureux papa d’un petit garçon qui se porte à merveille. Il s’engage pour faire avancer les choses afin qu’il y ait plus de connaissances sur les séquelles à long terme qui sont encore bien méconnues.

« Je veux encourager les personnes qui ont traversé cela à s’intéresser aux effets à long terme, car ils existent bel et bien. Il ne faut pas être paranoïaque, mais je pense qu’il est important de se renseigner. Un objectif dans ce domaine est de mettre en place un registre international des effets secondaires à long terme. Cela permettra de fournir des informations pour les personnes d’aujourd’hui et de demain. Une raison importante d’effectuer ce suivi à long terme ».

« Quand on a un cancer, on l’a pour toute sa vie. Toute notre vie, il faudra surveiller certaines choses et penser automatiquement au cancer que nous avons eu. Il ne disparaîtra jamais, car il y a des séquelles psychologiques, morales et parfois physiques, et ne pas en parler n’est pas bon ».

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Témoignage recueilli et écrit par Natalie Guignard-Nardin