Le combat de Gwenaël
Lorsque j’arrive dans ce petit village situé au-dessus de Nyon, Patrick, Zunaidy et leurs trois enfants m’accueillent chaleureusement. Je reconnais Gwenaël, l’aîné. Je sais qu’il a eu, et a toujours un parcours difficile contre la maladie. Mais je vais découvrir que, ce que je crois savoir sur son parcours, n’a rien de comparable avec la réalité.
Après avoir offert quelques cadeaux aux enfants, je m’installe au salon avec les parents autour d’un café.
Patrick prend spontanément la parole et se confie.
« Gwenaël avait 10 ans et cela faisait quelques temps qu’il était fatigué. Mais le week-end qui a précédé ce fameux moment où nous avons basculé dans un autre monde, Gwenaël avait encore participé à un tournoi de handball. Gwenaël a toujours fait beaucoup de sport. Il pratiquait le judo, du rugby et du handball, et il était doué. Cette fatigue persistait et nous sommes allés consulter le pédiatre de notre fils. Il a effectué des examens car les ganglions étaient gonflés. Ce n’est que quelques jours plus tard qu’il nous a appelé en nous demandant de nous rendre au CHUV tout de suite. Nous avons été placés en chambre sans comprendre ce qui se passait. Le médecin qui nous reçoit nous annonce rapidement que Gwenaël a une leucémie et qu’il doit être placé en isolement immédiatement. Le protocole de chimiothérapie doit démarrer en urgence. C’est là que nous avons découvert le monde du cancer pédiatrique. Gwenaël restera hospitalisé 4 mois. »
La famille a déménagé dans cette petite maison deux mois avant l’annonce de la maladie. C’est une ancienne maison qui demande quelques travaux, mais surtout, avec l’annonce de la leucémie, certains travaux ne peuvent plus attendre. Le système immunitaire d’un patient atteint de leucémie et sous traitement est extrêmement fragile. Etant donné que l’étage comportait de la moquette et de la tapisserie, il a fallu le rénover en entier. Grâce aux grands-parents de Gwenaël et à son parrain, les travaux ont pu être réalisés dans les délais. La moindre bactérie peut être très dangereuse pour Gwenaël. Tout doit être prêt pour qu’il puisse rentrer sans risque.
Les parents m’expliquent qu’après 6 mois de traitements au CHUV, les médecins constatent que la maladie ne réagit pas. Il faut donc planifier une allogreffe de cellules souches d’un donneur, avec une moelle osseuse aussi identique que possible avec celle de Gwenaël. Ce qui signifie qu’on utilise les cellules souches d’une autre personne (donneur). Les cellules souches du donneur forment un nouveau système immunitaire qui identifiera et détruira les cellules cancéreuses. Cette greffe se fera à Genève aux HUG.
« C’est là que nous tombons dans les méandres de l’administration hospitalière. Avec des problèmes de coordination entre les hôpitaux qui ont beaucoup de peine, semble-t-il, à communiquer. Il fallait organiser un rendez-vous pré-greffe avec les équipes médicales aux HUG, mais il a fallu rappeler 3x pour que cela se fasse. Bien que nous soyons très bien pris en charge et que les soins donnés à notre fils soient excellents, il faut faire face à toutes ces petites choses à côté qui nous prennent une telle énergie. »
La greffe et l’après greffe
Gwenaël est donc transféré aux HUG en vue de cette greffe. La sœur de Gwenaël n’étant pas compatible, il est inscrit sur la liste d’attente, mais il y a urgence. Devant l’impossibilité de trouver un donneur, l’équipe médicale choisit d’effectuer la greffe avec les cellules souches d’un parent. Cette procédure est bien plus risquée. Elle engendre plus de complications et les risques de rejet de la greffe sont plus importants qu’avec des cellules identiques. La maman est enceinte et ce sera le papa qui fera don de sa moelle à leur fils.
La greffe a eu lieu en août et Gwenaël restera hospitalisé jusqu’en novembre. Pendant ce temps, sa sœur ne pourra pas venir le voir. « Elle a pris sur elle mais cela a été dur car elle souhaitait rester impliquée. »
La réaction du greffon contre l’hôte (GVH) peut se produire après une greffe de cellules souches. Le nouveau système immunitaire peut attaquer des cellules saines et endommager des tissus et les organes.
Gwenaël aura quelques GVH dans les mois qui suivent la greffe, mais elles sont sous contrôle.
« Un an après la greffe, nous souhaitions partir en vacances. Malheureusement une autre GVH se produit et celle-ci est importante. Elle endommage le foie de Gwenaël. Pour traiter ce problème, il reçoit des corticoïdes à forte dose. Or cela lui a engendré une ostéoporose à un stade avancé sur le col du fémur. Gwenaël a passé environ 3 mois en fauteuil roulant, jusqu’à ce que les irrigations stabilisent l’ostéoporose. Gwenaël peut maintenant se déplacer avec une béquille, mais il faudra opérer plus tard. Mais ce n’est pas tout. Chaque fois qu’il reçoit des corticoïdes, cela engendre un problème de diabète dans les deux à trois semaines suivantes. Il faut contrôler le diabète avec un petit capteur qui contrôle régulièrement le taux d’insuline. »
Les complications s’enchaînent, les interventions et les hospitalisations également. Une infection dans son Port-à-Cath (cathéter à chambre implantée sous la peau) et c’est un mois d’hospitalisation supplémentaire pour Gwenaël.
« C’est vicieux, car plus le taux de GVH est fort, moins le risque de rejet est possible, mais il y a beaucoup de complications. »
Zunaidy souhaitait conserver son travail. Mais c’était bien trop difficile de laisser son enfant à l’hôpital. C’est d’un commun accord que son employeur la licenciera. D’autant que Karen, la petite sœur de Gwenaël souhaite être impliquée autant que possible. L’arrivée du bébé ne facilite rien. Pour Patrick il est parfois difficile de se rendre au travail alors que son fils est hospitalisé. Spécialement lorsqu’il y a des complications qui nécessitent des hospitalisations en urgence. « Emotionnellement, c’est terrible de déposer son fils aux urgences et de retourner travailler. »
« Les gens veulent aider, mais dans la durée ils ne restent pas. En plus, aider c’est pour soulager, pas pour nous rajouter une charge émotionnelle ou physique. Les gens nous disent de sortir, d’aller nous promener, mais ce n’est pas ce dont nous avons besoin. Je sais que si les gens ne l’ont pas vécu eux-mêmes ils ne peuvent pas comprendre, ni même imaginer ce que nous vivons. »
Les équipes médicales avaient parlé d’un an post greffe, un an et ce serait le bout du tunnel. Mais pour Gwenaël et sa famille ce sera au mieux 4 ans.
Aujourd’hui, le quotidien de Gwenaël et de ses parents c’est tous les jours de la chimiothérapie par voie orale, quatre séries de médicaments par jour dont certains à prendre hors des repas et cela plusieurs fois par jour. Agé de 14 ans, il faut lui prendre la tension et surveiller le taux d’insuline. Il a un autre cathéter, un Broviac, qui ne doit pas être mouillé. De plus, Gwenaël ne peut pas plier sa jambe correctement et il faut donc l’aider à s’habiller et à faire sa toilette. Tout cela prend beaucoup de temps et il faut le refaire chaque jour, matin et soir.
Deux fois par semaine, toutes les deux semaines, une infirmière passe à la maison pour mettre en place une hydratation. Cela est nécessaire pour protéger les reins de Gwenaël à la suite des traitements de Photophorèses qu’il a pour tenter de soigner le GVH. L’infirmière est venue jusqu’à six fois par semaine, chaque semaine.
Ça, c’est le quotidien depuis un an et c’est si tout va bien. S’il n’y a pas de complications. Gwenaël est dans une phase stable, mais avec des ratios bien trop élevés. Il n’y a pas beaucoup de changements, ce n’est pas pire mais il n’y a pas vraiment d’améliorations. Les risques de rejet de la greffe sont là, et avec le rejet de la greffe, le retour de la maladie.
Le papa de Gwenaël me dit :
« On se ramasse des coups en pleine figure, encore et encore. C’est long, très long, mais surtout, quel va être l’impact ? Plus il prend de médicaments comme la Prednisone, plus les effets secondaires seront importants. Peut-être que son foie ne fonctionnera plus correctement et qu’en sera-t-il de sa jambe et de l’ostéoporose ? »
« Grâce à la pandémie nous avons pu ressortir et refaire des activités. Le fait que tout le monde portait des masques, les mesures d’hygiènes et de distanciation protègent des personnes fragiles comme Gwenaël. Les gens ne se rendent pas compte de combien cela nous a aidé au quotidien. Aller au restaurant et chez le coiffeur n’était plus possible avant la pandémie avec un enfant aussi fragile que Gwenaël. »
Là au milieu, il faut penser à l’enseignement de Gwenaël.
« Gwenaël n’est plus scolarisé depuis 3 ans. Il suit l’école à la maison autant que possible et travaille dur mais cela n’est pas suffisant. Bien entendu, il a dû refaire une année étant donné que la première année de traitement a été si intense. Mais à force de travail, il a passé les examens pour passer en 9p. Il était si fier et nous encore plus lorsqu’il a reçu le courrier l’informant du nom de sa nouvelle enseignante de 9ème. Malheureusement, quelques semaines plus tard nous avons reçu un courrier nous informant que l’établissement scolaire n’avait pas l’infrastructure pour encadrer notre fils et qu’il devait refaire sa 8ème. Cela a été une grosse déception pour tous, surtout pour Gwenaël qui s’était projeté dans cette nouvelle classe. »
Je sens que pour le papa il est extrêmement difficile d’accepter de voir son fils, qui était un grand sportif et si actif, aussi diminué par les traitements. Mais avant tout je ressens cette colère au fond de lui face à toutes les incohérences du système. Également la lassitude de devoir se battre pour des choses si futiles lorsqu’on voit son enfant se battre contre la maladie.
« Lorsque Gwenaël est tombé malade, j’ai contacté la cantine scolaire pour les informer qu’il ne reviendrait pas avant la fin de l’année scolaire. L’établissement scolaire m’a précisé qu’il y avait un préavis de deux mois. J’ai donc dû demander à l’assistante sociale en place au CHUV qui nous aide, d’écrire un courrier pour expliquer la situation. Finalement, ils ont accepté de ne pas nous facturer quoique ce soit pour Gwenaël depuis le moment où il a arrêté de se rendre à la cantine. Mais le forfait fratrie que nous avions pour nos deux enfants a été annulé. De ce fait, le tarif pour notre fille Karen a doublé. Malgré les discussions ils n’ont rien voulu savoir. Nous avons trouvé une autre solution pour notre fille. Les deux mois de préavis nous ont été facturés malgré tout. »
Une bataille continue
A la naissance de Jennifer, la petite dernière, la famille a demandé si elle pouvait avoir une chambre seule pour la maman. Pas les prestations privées, juste une chambre seule afin que Gwenaël puisse venir trouver sa maman et sa petite sœur en toute sécurité. L’hôpital a été très arrangeant mais l’assurance ne voulait rien savoir. La famille a payé le supplément pour chambre individuelle.
Lorsque Gwenaël a eu besoin d’un fauteuil roulant, l’assurance n’a pas voulu payer l’entier de la location. Uniquement la somme de CHF 1.50 par jour, alors que cela coûte bien plus cher.
« Il faut se battre pour que les assurances remboursent les seringues que vous avez besoin pour administrer les médicaments à la maison. Certains types sont remboursés mais pas ceux que nous avons besoin. Idem pour les médicaments et en plus la LIMA (liste des moyens auxiliaires) prend en charge un montant maximal par année. Mais en février nous avons déjà atteint le plafond. Les soins à la maison, c’est toujours mieux qu’à l’hôpital mais si les assurances ne couvrent pas les frais ça ne va pas. »
« Lorsqu’il s’agissait de traitements contre la leucémie il n’y avait pas de soucis. Maintenant que ce sont des médicaments pour soigner les causes des traitements donnés contre le cancer, c’est un vrai parcours du combattant. Il faut se battre pour chaque petite chose. Finalement toutes ces sommes, mêmes petites, sont à notre charge et lorsqu’on cumule ça sur des mois voire des années, imaginez le budget pour une famille. »
«Les gens ne se rendent pas compte ce que c’est d’avoir un enfant malade, de ce que cela engendre émotionnellement, physiquement et financièrement. Les gens se plaignaient du confinement lors de la pandémie, mais nos enfants sont isolés pendant des moins et leur seul contact « social » est lié à l’hôpital. Tous devraient se rendre compte du courage de ces enfants et de leur force de vivre. Je suis admiratif du courage et de la volonté dont fait part Gwenaël. »
Sur le trajet du retour chez moi je réfléchis. Je suis déçue de voir que le système de santé dans notre pays comporte autant de lacunes et de problématiques, même si je sais que d’autres organisations en Suisse travaillent dessus. Mais avant tout je suis en colère. En colère, car encore une fois un enfant a dû subir des traitements si lourds pour le guérir de son cancer et aujourd’hui, il doit faire face à tant de séquelles.
Guérir n’est pas suffisant du tout !
Mon cerveau est en ébullution. Je fulmine car je souhaite agir pour ces enfants, faire plus. Je veux que la recherche avance pour guérir grâce à des traitements moins lourds, moins toxiques. Je désire que nos politiciens, nos chercheurs et le monde fassent des enfants la priorté absolue. Des sujets sur lesquels nous travaillons dur avec Zoé4life.
Tout à coup les émotions me submergent, et là, seule dans ma voiture, je peux maintenant hurler et pleurer face à tant d’injustice. Mais je sais que demain je serai à nouveau d’attaque pour continuer le travail que nous faisons au sein de Zoé4life pour guérir plus d’enfants et les guérir mieux.
Témoignage receuilli et écrit par Natalie Guignard-Nardin en 2022